Sommaire

LE QUOTIDIEN MULTIPLE

Être à plusieurs
Perdre du temps
Entendre des voix
Le contrôle du corps
Devoir faire semblant
La peur
Bibliographie

LE QUOTIDIEN MULTIPLE

Être à plusieurs

Une personne multiple ne dispose pas d’une seule personnalité, mais perçoit différents « moi » en elle-même. Elle héberge plusieurs personnalités dans un seul corps. Les différentes personnalités d’une personne multiple sont très variables. Elles peuvent être perçues comme des personnes :

Ces différentes personnalités portent souvent des noms et peuvent prendre le contrôle sur le corps en alternance. Un changement de personnalité est appelé « switch » en anglais et peut être déclenché par des stimuli extérieurs comme des mots-clés, les personnes en face, des odeurs, des sons, de la musique, un contact tactile etc. Les stimuli déclencheurs (trigger) sont souvent liés à un traumatisme que la personnalité qui est actuellement au contrôle du corps a vécu. Ou alors, ce sont des stimuli activant une personne de l’intérieur, comme un signe pour sortir et prendre en charge la situation.

Une personne multiple n’est pas obligatoirement au courant du fait qu’elle est multiple. Et même si elle en a conscience, elle n’a souvent pas connaissance de toutes les différentes personnes qui agissent en elle, qui sont en rapport avec le monde extérieur et intérieur. Dans le quotidien cela veut dire qu’elle se retrouve dans des situations difficiles, incompréhensibles, angoissantes parce qu’elle n’est pas nécessairement au courant de ce qui s’est passé avant le changement de personnalité.

Voici quelques exemples de situations bizarres dans lesquelles une personne multiple peut « se retrouver » :

Pour une personne multiple qui est consciente de son état mais qui n’a pas encore avancé dans la thérapie au point d’avoir le contrôle sur les changements de personnalité, l’environnement est souvent perçu comme un champ de mines, puisque des stimuli variés et imprévisibles peuvent engendrer un changement de personnalité. Et ceci ne veut pas toujours dire que la personnalité qui surgit à ce moment est bien préparée pour faire face à la situation dans laquelle elle se retrouve subitement…

Pour se mettre à la place d’une personne qui n’est pas toujours au contrôle de ce qui se passe avec elle-même, il est nécessaire d’avoir un peu d’imagination et de l’empathie. Si l’on se met à la place de quelqu’un qui vit des expériences comme les suivantes au quotidien, à quoi cela ressemble-t-il ?

Perdre du temps

Imaginez, vous passez au supermarché sur votre chemin au travail pour faire des courses rapides. Vous vous garez, cherchez un caddie, entrez dans le magasin, prenez votre liste des courses, et cherchez systématiquement dans les rayons ce que vous allez acheter. Un fond sonore musical atteint vos oreilles. Et subitement, tous les bruits autour de vous semblent disparaître, à part un tube des années 60, émanant de hauts parleurs. Vous vous sentez pris de vertiges. Quand vous revenez à vous, le détective du supermarché est en train de vous accompagner à l’extérieur. Il vous engueule : « Si vous revenez ici, nous appelons la police ! » - « Qu’est-ce qui s’est passé ? » vous chuchotez. « Vous ne vous rappelez pas ? Alors, vous devriez vraiment vous soucier de votre état mental ! Dépêchez-vous de dégager d’ici avant que je change d’avis, vous êtes un danger public. Ben alors, elle lance des conserves sur les hauts parleurs, il y aurait pu y avoir des blessés. Il y en a, des fous, de nos jours » gronde le détective, qui est déjà sur le chemin de retour dans le bâtiment. (2)

ATTENION TRIGGER !

Que s’est-il passé ? C’est une question que se posent les multiples fréquemment. Pour être plus précis : Que s’est-il passé entre-temps ? Dans l’exemple ci-dessus l’« hôte », c’est la personne qui a pour la plupart du temps le contrôle sur le corps, ne sait pas qu’une des « personnes intérieures » suite au stimulus extérieur, le tube des années 60, a pris le contrôle sur le corps et a essayé de faire taire la musique. C’était Kim, un garçon de 14 ans de son intérieur, un « protecteur », qui a été activé pour éliminer le stimulus. Le stimulus (le tube) est dangereux puisque le grand-père a toujours joué ce même tube pendant qu’il abusait sexuellement de « la fille » (une autre personne intérieure). Kim ne connaît pas ce contexte, il sait seulement qu’il doit contrer ce stimulus avec toute sa force. Quand il est pris sur le fait et traîné dehors par le détective, il disparaît et l’« hôte » resurgit.

Beaucoup plus tard, pendant la psychothérapie, l’« hôte » et Kim feront connaissance et comprendront ce qui s’est passé au supermarché. Et ce qui s’est passé quand la fille, de laquelle ils ont dissocié, avait cinq ans. Entre-temps les deux doivent vivre avec le fait qu’ils surgissent subitement et disparaissent de la même manière, d’un coup. Kim surgira fréquemment comme un robot : Il doit éliminer ce stimulus dangereux, alors il se bat, il donne des coups de pied, il jette des objets. Dès qu’il est empêché d’agir et il ne peut plus se défendre ou dès qu’il a réussi, il disparaît. (2)

Entendre des voix

Rien ne peut dérouter une personne multiple plus que le fait d’entendre des voix dans sa propre tête. Ceci est d’ailleurs souvent le premier indice pour se rendre compte qu’elle est multiple. (2)

Une femme rentrant après des longues années d’absences à son lieu d’origine se sentait attirée par la maison de ses parents comme par magie. Quand elle arrivait devant cette maison, elle entendait pour la première fois de sa vie une voix dans sa tête, qui était la sienne, lui racontant une histoire horrible. C’était l’histoire de son propre abus sexuel qui s’était déroulé dans cette maison. Pendant qu’elle écoutait cette histoire, elle avait subitement la certitude que c’était vrai, c’était vraiment arrivé. Elle essayait de refouler cette expérience, mais cela lui était impossible. Et un jour, quand elle se retrouva dans une situation dangereuse avec son plus jeune enfant, apparemment en train de tuer cet enfant, elle comprit qu’elle devait chercher de l’aide psychothérapeutique. (2)

Quand le psychiatre apprend qu’une personne entend des voix, le diagnostic est souvent « psychose » ou « schizophrénie ». Nous savons aujourd’hui que ceci n’est souvent pas vrai. Des études épidémiologiques de patients en psychiatrie aux USA ont démontré que quatre des dix personnes diagnostiqués « schizophrènes » sont en réalité des personnes multiples. Entre cinq et quinze pour cent des patients psychiatriques sont multiples. Les personnes multiples n’ont pas d’hallucinations ou de fantasmes. Les voix en eux racontent la vérité, même si ces vérités peuvent se contredire. Ce sont les vérités subjectives des « personnes intérieures ». Ce ne sont pas des fantasmes sur des ovnis ou un tigre sur le balcon. (2)

Les personnes multiples ne sont pas folles. Elles sont amenées à le croire puisqu’« entendre des voix » est un indice de la folie. Il peut être horrible de devoir vivre avec cette vérité, d’entendre des voix. Beaucoup de personnes multiples essaient de les faire taire. Elles boivent jusqu’à l’inconscience, prennent des tranquillisants, mangent jusqu’à vomir, s’injectent des drogues dures, se cognent la tête contre les murs. Les voix ne se laissent pas faire taire. Ce sont par exemple des gémissements de bébés, des petits enfants qui babillent, des enfants racontant leurs expériences traumatiques, des adolescents en rage, des hommes cyniques, des femmes qui pleurent etc. Et pendant que ces voix parlent, la personne qui se trouve « dehors », en interaction avec son entourage, doit par exemple passer un examen ou travailler. (2)

Les voix sont tout simplement présentes, elles racontent, elles font des commentaires sur ce que la personne « dehors » est en train de faire. Parfois, les voix restent silencieuses pendant des jours, des mois, des années, pour revenir en force en temps de crise. Souvent, la personne dehors souffre de maux de tête. Parfois, spécialement dans un état de fatigue, les multiples peuvent se demander si les personnes en face ne les entendent pas également, ces voix. En fait, entendre des voix dans la tête peut faire perdre la raison. (2)

Le contrôle du corps

En plus des voix dans la tête, qui racontent leurs histoires à la personne qui est censée s’occuper de la vie quotidienne, il y a la perte de temps. La personne concernée par cette amnésie qui essaie de retrouver des souvenirs, constate tout simplement que ce temps est perdu. Par contre, cette personne remarque souvent avec effroi que pendant le temps perdu, le corps a agi. Les personnes qui ne sont pas multiples ont probablement du mal à imaginer combien quelqu’un peut être secoué par l’effroi quand il découvre qu’il n’est pas seul dans son corps. Comment gérer le fait qu’il y a d’autres personnes dans le corps qui agissent sans que la personne actuellement « en contrôle » puisse intervenir et souvent même à l’insu de la personne ? Et de plus, les autres personnes sont peut-être amenées à faire des choses que la personne elle-même ne ferait jamais. (2)

Comment vivre cette expérience ? Chacun est différent et interprète ce genre d’expériences différemment. Selon la culture et l’éducation, il y a des personnes qui peuvent se sentir folles, possédées par un démon, peut-être même élues par dieu ou un être surnaturel. Il est également possible qu’une personne présume que tout le monde ressent la même chose qu’elle-même, mais que personne n’en parle. Il peut arriver que deux ou plus des personnalités prennent contrôle du corps en même temps et que cela empêche un mouvement coordonné ou une communication cohérente. Le fait qu’une personnalité ait envie d’aller dans une direction et une autre dans l’autre direction peut faire tomber la personne multiple. Si une personnalité est active et qu’une autre personnalité veuille passer un message ou faire un commentaire, il est possible que cette personne s’interpose dans une conversation et que cela a pour effet que les interlocuteurs ont l’impression que le raisonnement de la personne devient incohérent. Cela peut être interprété comme signe de folie, par exemple, en tant qu’indice pour la schizophrénie. (2)

Devoir faire semblant

« C’est trop, je suis tout le temps en train d’inventer des choses. Quand quelque chose comme l’autre jour m’arrive… J’entendais subitement une voix derrière moi qui me disait : « Si tu tournes la clé, tu peux ouvrir l’armoire des médicaments ». Puis j’ai appris que j’étais cloué devant l’armoire pendant un quart d’heure à la fixer, avant que la collègue vienne me voir, et que tout le monde m’avait observé pendant tout ce temps. Cela est dur à expliquer avec « j’ai fait des rêves éveillés » ou « j’ai réfléchi ». Cela m’angoisse, je me dis « maintenant ils m’ont eu ». » (2)

Une personne multiple peut expérimenter une multitude de situations semblables. Et souvent c’est difficile de trouver des explications cohérentes et il reste la peur d’être déclaré fou par l’entourage. Pour cette raison, les multiples sont toujours sur leur garde. Elles se donnent beaucoup de peine pour paraître fiables, prévisibles et cohérentes – ce qui est difficile vu le nombre de personnalités de tous âges regroupées en elles. (2)

Comment expliquer à l’école pourquoi on ne se rappelle pas du sujet de la leçon puisque c’était quelqu’un d’autre qui a assisté au cours ? Que faire si le partenaire dit « Ne me dis plus jamais quelque chose pareille » et qu’on ne se rappelle pas ce qu’on a dit ? Que faire si l’on est réprimandé, que l’on nous demande « de ne pas en faire une histoire », de se comporter de manière raisonnable, et qu'on n’a aucune idée de ce dont nous on parle ? (2)

Les multiples ont souvent une image peu favorable d’eux-mêmes puisque dans la vie on les a souvent accusés de mentir, de changer de discours pour fuir leur responsabilité, d’être lunatiques, capricieux, hystériques et imprévisibles. Ces impressions de la part de l’entourage non averti sont le résultat des comportements inexplicables suite au trouble dissociatif de l’identité. Le problème pour la personne multiple est qu’elle doit vivre avec cette image qu’elle a d’elle-même et que les autres lui attribuent. Et ce n’est pas facile de se libérer de cette image. Pour éviter ce genre d’impression, les personnes multiples sont amenées à éviter de se poser trop de questions du genre « qu’est-ce qui s’est passé dans le temps dont je ne me rappelle pas » et de focaliser leur attention sur l’image qu’elles présentent à l’entourage. Ceci les entraîne dans un piège puisqu’elles sont obligées de mentir pour paraître normales et rassurer leur entourage en expliquant les incohérences - ce qui malheureusement fait d’elles des menteuses. (2)

« Gabrielle, une adolescente multiple, sort du cinéma et constate que son vélo a disparu. Elle essaie désespérément de se rappeler si elle est venue en vélo ou en bus et elle tente prudemment de tirer des informations de sa compagne sans avoir de réponse concluante. Quand elle arrive à la maison, elle explique avec des palpitations et les mains transpirantes une histoire inventée comme quoi on lui a volé son vélo. Quand la mère la regarde bizarrement, elle s’arrête, puis sa mère s’approche d’elle pour lui donner une claque sur la bouche en disant qu’elle est une menteuse. Pendant que la mère lui donne une raclée, elle apprend que la mère de sa meilleure copine vient d’appeler parce qu’elle trouvait bizarre que Gabrielle ait offert son vélo à sa fille comme cadeau. » (2)

Est-ce que vous pouvez imaginer la difficulté d’expliquer aux autres votre propre comportement alors que vous n’en avez aucune idée ? La plupart des personnes multiples sont informés de leurs déficits en mémoire et que leurs corps a pu faire et dire des choses dont elles ne se rappellent pas. Mais souvent, les multiples ne savent pas que ces amnésies sont causées par le fait qu’il y a d’autres « personnalités » en eux. Ils ont tout simplement peur que l’on puisse « découvrir » leur folie. Il est possible qu’une personne multiple doive inventer toute une biographie parce qu’elle ne se rappelle pas de ce qui s’est passé pendant ce temps. Écrire un curriculum vitae, c’est un véritable cauchemar pour certains. Il y a des adolescents et des adultes qui ne se rappellent pas de leur enfance et inventent quelque chose qui y ressemble. Leur multiplicité oblige les multiples à rapidement s’orienter dans l’espace et le temps et de devenir habiles à trouver des indices, par exemple en posant des questions indirectes, en observant une situation, pour en déduire ce qui s’est passé avant et de réagir de manière adaptée. Il y a des multiples qui commencent déjà tôt à noter des faits régulièrement pour garder une trace – et souvent ne remarquent pas que les annotations ont été faites avec des écritures différentes. (2)

La peur

La vie de quelqu’un qui est multiple est pleine de panique et d’horreur. Le monde est un endroit rempli de stimuli (trigger) potentiels pour des changements de personnalité (switch) qui peuvent provoquer un désordre prononcé dans la personne multiple. Ces stimuli sont liés à la mémoire d’une situation traumatisante d’une des personnalités et peuvent générer des flash-back et des switch. Quand quelque chose à l’extérieur évoque un souvenir choquant, une situation traumatisante du passé peut resurgir, être réassociée et revécue de nouveau par la personne multiple. Et les émotions associées à un traumatisme sont pour la plupart du temps l’horreur et l’angoisse. (2)

Un trigger peut être de qualité très variée, par exemple un mot ou une phrase, une odeur, une certaine situation, quelque chose que la personne voit ou entend comme p. ex. un enfant avec queue-de-cheval, une certaine marque de voiture, le cri d’un bébé, la sirène d’une voiture de police. Comme déjà mentionné ci-dessus, le monde est un champ de mines pour quelqu’un qui est multiple et qui n’a pas encore retravaillé et intégré les traumatismes qu’il a subis. (2)

Et suite à un trigger, un changement de personnalité peut survenir dans toutes sortes de contextes, ce qui fait surgir une personne qui sait gérer la situation liée au traumatisme mais pas forcement celle dans laquelle se trouve la personne multiple à ce moment-là. Du coup, un « enfant » se retrouve au volant de la voiture, un « bébé » chante dans une réunion de collègues de travail, un « protecteur » se libère d’une étreinte, un « destructeur » se fait mal avec le couteau de cuisine ou veut sauter de la fenêtre, se cogne la tête contre le mur… Ce ne sont pas forcément des situations vécues par tous les multiples tout le temps, mais beaucoup d’entre eux se retrouvent de temps en temps dans des situations semblables. (2)

Ce qui est décisif pour la peur permanente des multiples, ce sont :

Une personne multiple vit dans la peur que le monde découvre sa folie. Elle peut être amenée à croire qu’elle invente et se faire des reproches parce qu’elle oublie beaucoup de choses et manque souvent des informations. Souvent, une personne multiple n’a personne à qui se confier par peur d’être déclarée cinglée et d’être internée en psychiatrie fermée. Et souvent cette peur est due au fait que la personne multiple croit elle-même qu’elle est folle. (2)

Bibliographie :

1. Imke Deistler und Angelika Vogler: Einführung in die Dissoziative Identitätsstörung – Multiple Persönlichkeit, Junfermann Verlag Paderborn (2005), p. 57-60

2. Michaela Huber : Multiple Persönlichkeit, Überlebende extremer Gewalt, Ein Handbuch, Fischer Taschenbuchverlag GmbH, Frankfurt am Main (1995), p. 114 - 146